(English and Español bellow)

Le Manifeste Chthulucène de Santa Cruz

Version revue de « Donna Haraway and Cary Wolfe in Conversation », Manifestly Haraway (University of Minnesota Press, 2016). (1)


«Endosymbiosis, tribute to Lynn Margulis», Shoshanah Dubiner, 2012, www.cybermuse.com

Il est peut-être temps d’écrire un « Chthulucene Manifesto ». « Mon » Chthulucène est le temps des compositions mortelles en jeu les unes pour les autres et les unes avec les autres. Cette époque est le kainos (-cène) des puissances continument à l’œuvre qui constituent Terra, des myriades de tentacules avec toutes leurs temporalités, spatialités et matérialités diffractées et tissées. Le kainos est la temporalité du « maintenant » épais, fibreux et grumeleux, qui est, et n’est pas, ancien. Le Chthulucène est un maintenant qui a été, qui est, et qui est encore à venir. Le Chthulucène est un espace-temps diffracté sans relâche (souvenez-vous de ce que dit Karen Barad sur les champs quantiques dans Meeting the Universe Halfway). Ces puissances surgissent à travers tout ce qui est Terra. Elles sont destructrices/génératrices et ne sont à la portée de personne. Elles sont inachevées et elles peuvent être terrifiantes. Leur résurgence peut être terrifiante. L’espoir n’est pas leur genre, mais peuvent l’être des capacités à répondre, des respons-abilités exigeantes. Les forces terriennes tueront les insensés qui persisteront à provoquer. Tués mais pas disparus, ces sots perdureront dans une destruction tentaculaire et continue.

Les puissances chthoniennes, à la fois génératrices et destructrices, sont parentes de la Gaïa de Bruno Latour et d’Isabelle Stengers, même si leurs Gaïas ne sont pas du tout identiques. Mais pour nous trois, Gaïa et ses parentes ne sont pas la mère ; elles sont des gorgones serpentines comme la mortelle et indomptée Méduse ; elles ne se préoccupent pas de la chose qui se nomme elle-même Anthropos, celui qui regarde vers le haut. Celui qui regarde vers le haut ignore comment rendre visite, comment être poli, comment exercer sa curiosité sans sadisme (souvenez-vous de Vinciane Despret et de Hannah Arendt). Dans l’Anthropocène (un mot dont j’ai fini par avoir également besoin), les entités chtoniennes joignent leurs forces dans une double-mort accélérée et provoquée par l’arrogance de ceux qui industrialisent, super-transportent et capitalisent, sur les mers, les terres, les airs et les eaux. Dans l’Anthropocène ces forces tentaculaires sont celles du feu carbone et du nucléaire ; elles brûlent cet homme faiseur-de-fossiles, lui-même brûlant obsessionnellement de plus en plus de fossiles, fabriquant ainsi toujours plus de fossiles, dans une parodie sombre des énergies terrestres. Dans l’Anthropocène, les forces chthoniennes sont elles aussi actives ; l’action n’est pas qu’humaine, pour dire le moins. Et, inscrites dans les roches et la chimie des mers, les forces surgissantes sont terrifiantes. La double mort aime les abysses hantés.

Les forces chthoniennes infusent tout Terra, ce qui inclut ses êtres humains, qui deviennent-avec une foule hétéroclite d’autres. Tous ces êtres vivent et meurent, et peuvent vivre et mourir bien, peuvent prospérer, non sans souffrance et mortalité, mais sans pratiquer la double mort pour survivre. Les terriens, ce qui inclut les êtres humains, peuvent renforcer la résurgence (au sens d’Anna Tsing) des vitalités qui nourrissent les faims ardentes d’un monde divers et luxuriant. Le Chthulucène était, est, et peut encore être, empli de ce qu’Anna appelle des « résurgences de l’Holocène », « redevenues sauvages » – la continuation d’une Terre réensauvagée, cultivée et non-cultivée, dangereuse mais abondante, pour des créatures en constante évolution, êtres humains inclus. Mixte et dangereux, le Chthulucène est la temporalité de notre monde, Terra. Le Chthulucène n’est pas un ; il est toujours sym-chthonien, et non auto-chthonien, sympoïetique, et non autopoïetique. Tout ceux d’entre nous qui se soucient de régénération, de connexions partielles, et de résurgence doivent apprendre à bien vivre et mourir dans les enchevêtrements du tentaculaire, sans toujours chercher à couper ou lier ce qui les gène. Les tentacules sont des antennes ; elles sont parsemées de dards ; elles goûtent le monde. Les êtres humains sont dans et de l’holobiome du tentaculaire, et les temps de consumation et d’extraction de l’Anthropos sont comme les plantations de monoculture et les tapis d’algues visqueuses qui s’étendent là où s’épanouissaient des forêts, des fermes et des récifs coraliens, en alliances multiples avec les temporalités et matérialités fongiques.

L’Anthropocène sera court. Il s’agit plus d’un événement frontière, comme l’extinction K-Pg (l’extinction du Crétacé-Paléogène), que d’une époque. Une autre mutation de l’épais Kainos s’annonce déjà. La seule question est, est-ce que « l’événement frontière » de l’Anthropocène/Capitalocène/Plantationocène sera bref parce que la double mort va règner partout, même dans les tombes de l’Anthropos et ses parents, ou parce que des entités multispécifiques, êtres humains inclus, auront réalisé des alliances solides et durables avec les puissances génératrices du Chthulucène, pour produire la résurgence et la guérison partielle face à la perte irréversible, de manière à ce que des mises-en-mondes de genres anciens et nouveaux puissent prendre racine ? Compost, pas posthumain…

Le Chthulucène est plein de conteurs. Ursula Le Guin en est l’une des meilleures, dans tout ce qu’elle écrit. Hayao Miyazaki en est un autre ; souvenez-vous de Nausicaä de la Vallée du Vent. Et ensuite allez visiter le jeu en ligne Inupiaq Never Alone. Regardez le trailer ! (2)

Avec ces conteurs, mon prochain manifeste doit être Make Kin Not Babies!

Donna Haraway, hiver 2015

(Traduction Ewen Chardronnet, remerciement à Isabelle Stengers et Vinciane Despret pour la dernière lecture)

(1) Ce texte poursuit mon effort à caractériser les différences entre l’Anthropocène, le Capitalocène et le Chthulucène, développé dans « Staying with the trouble: Sympoièse, figures de ficelle, embrouilles multispécifiques », traduction Isabelle Stengers, Vinciane Despret et Benedikte Zitouni, dans Gestes spéculatifs, dirigé par Isabelle Stengers et Didier Debaise, parution à l’automne 2015 aux Presses du réel.

(2) http://neveralonegame.com/

Le collectif Planète Laboratoire explore les nouveaux récits de la résilience

Le collectif Planète Laboratoire est engagé dans une réflexion sur la théorie des systèmes, la résilience collective et les imaginaires de la régénération.

Depuis 3 ans, le collectif d’art et de recherche Planète Laboratoire, poursuit une recherche autour des objets et des modes de pensée associés à l’Anthropocène. Les hypothèses abordées dans ce texte portent sur les modes d’instauration du réel par la pensée systémique qui forme, pour ainsi dire, l’infrastructure intellectuelle de l’Anthropocène. Elles portent simultanément sur certains concepts qui sont devenus des chevilles ouvrières de la pensée systémique à l’époque de la radicalisation des crises écologiques, économiques, sociales : la résilience et la régénération. Elle porte enfin sur le collectif lui-même en tant que forme et matrice d’une gestion résiliente, dont l’exercice met en œuvre des capacités régénératrices.

L’Anthropocène et les modes d’instauration du réel par la pensée systémique

L’Anthropocène est définie comme l’ère géologique pendant laquelle, du fait de la croissance exponentielle des consommations d’énergies fossiles accompagnant la révolution industrielle, l’humanité est devenue une force géologique et climatique majeure, dans des proportions telles qu’elle bouleverse de façon irréversible les équilibres climatiques et écosystémiques à une échelle inédite depuis des millions d’années, entraînant des ruptures économiques et sociales majeures dans un avenir proche : déclin du système énergétique basé sur les combustibles fossiles qui forme l’infrastructure énergétique de la mondialisation, perturbation des grands cycles géochimiques (carbone, phosphore, soufre, azote), déplétion des ressources, extinction des espèces, acidification des océans, épuisement des sols, raréfaction de la disponibilité en eau douce.

Qualifiée ainsi, l’Anthropocène est affaire de système. Et c’est d’un point de vue systémique que les éventuelles corrections ou réductions d’impact peuvent s’effectuer.

Dans une approche systémique de la Terre, la localité est inconsistante : elle est subordonnée au global qui donne son sens et son orientation à l’ensemble des localités. Le slogan du développement durable – « agir local, penser global » – ne constitue plus une réponse adéquate à la catastrophe : une réduction des externalités locales est inutile si en parallèle le cumul global des externalités est hors de contrôle. La « solution » consiste alors à renforcer la cohérence et la mise en œuvre d’une vision d’ingénieur. Cela débouche sur différentes manières de modéliser la Terre ou des milieux qui, au final, sont interdépendants. En quoi, alors, la localité rurale est-elle encore un objet capable de répondre aux enjeux de l’Anthropocène ?

Armin Linke, Montagne avec antennes, Kitakyushu, Japon, 2006 © Armin Linke

Dennis Meadows, systémicien et co-auteur du rapport Halte à la croissance (1972), déclare cependant qu’aujourd’hui, il est désormais trop tard pour que les sociétés thermo-industrielles instaurent un développement durable et en appelle à la construction dans l’urgence de micro-systèmes résilients, pour se préparer aux chocs à venir. Ce faisant, il met en question la capacité d’une approche macro-systémique à résoudre les problèmes posés par les sociétés thermo-industrielles. Mais que cela soit dans une approche macro- ou micro-systémique, dans les deux cas, c’est la vision systémique qui fournit la vision d’ensemble. Cette vision forme, pour ainsi dire, l’infrastructure intellectuelle de l’Anthropocène. Les limites de cette approche sont pourtant bien identifiées.

C’est à cette double perspective systémique de la Terre et de la localité que la réflexion s’attache ici. Si l’approche naturaliste a l’avantage de décrire, en simplifiant, les grands cycles géochimiques, qui s’appliquent à tous, ou le métabolisme de micro-systèmes résilients, elle n’est pas en mesure de saisir les dynamiques sociales, économiques, culturelles qui y sont indémêlablement liées. Tout se passe comme si la solution résidait dans un surcroît de rationalité ingénieriale ou scientifique. Le monde social, dans une perspective systémique y est pourtant présenté de façon trop simplifiée, objectivée et quantifiée, régi par un ensemble de lois causales, et donc susceptible de s’interfacer et de se coordonner avec les sciences naturelles par des flux d’entrée et de sortie. En quoi la réalité culturelle et sociale située met-elle en question la clarté et la simplification de l’approche systémique ? En quoi ouvre-t-elle à d’autres manières de faire, d’agir et de penser dans l’Anthropocène ? En quoi fabrique-t-elle une autre vision du présent, pour lequel le terme même d’Anthropocène apparaît comme inadéquat ?

Ce sont ces questions auxquelles s’attache la Planète Laboratoire depuis quelques années. Dans un premier temps, la recherche collective a porté sur la planète usine et sur la planète laboratoire, sur l’expérimentation échelle 1:1 et notamment sur la géo-ingénierie. Le dernier numéro a porté sur ce que le collectif a appelé la possibilité d’un « Capitalisme alien », pour signifier cette force d’arrachement aux conditions qui avaient été considérées jusqu’ici comme naturelles. Différents objets nouveaux – biologiques, économiques, spatiaux, idéologiques,… – objets radicalement « a-terrestres » voire « extra-terrestres » sont apparus au cours du développement du capitalisme technoscientifique mettant en question l’évidence de l’attachement à la Terre, la géochtonie des Terriens ou d’une partie significative d’entre eux.

La perspective macro-systémique, en sortant de la vision immersive pour produire une vision synthétique de la Terre recoupe ici l’invention de l’image zénithale de la « planète bleue » photographiée dans l’après guerre, en même temps que se déployait la théorie des systèmes. Cette conquête du ciel, de la vision synthétique, semble avoir abrogé la vision vue du sol, de ceux qui pratiquent la Terre en tant qu’organismes sensibles.

À ce niveau se déploie une approche systémique souvent incrémentale et qui ne prétend pas être scalable, mais qui met en œuvre des pratiques locales ou situées de régénération, adaptées aux variations et à l’imbrication de composantes hétérogènes, à la fois sensibles, biologiques, sociales, écosystémiques, industrielles, commerciales, culturelles.

La « planète bleue », une des premières photos de la Terre prise il y a cinquante ans par l’astronaute Bill Anders de la mission Apollo 8 le 24 décembre 1968. Domaine public.

Imaginaires de la régénération

Le concept de résilience a beaucoup de significations et d’utilisations dans différents domaines. Il renvoie à la capacité de se rétablir après un choc, que ce choc soit économique, social, écosystémique, organique. Il renvoie aussi à la capacité d’absorber un choc ou de s’adapter à lui. De fait, ce concept fait partie de l’outillage de la pensée systémique qui cherche à modéliser des changements brusques.

La régénération est l’étape suivante : ce n’est pas seulement la capacité à se remettre d’un choc mais la capacité de restaurer l’état initial d’une condition écologique ou sociale détruite. Il se distingue du développement durable en ne visant pas l’équilibre, un théorique impact zéro, mais la « réparation » de la biosphère.

Au PIF Camp 2018 en Slovénie © Hannah Perner Wilson

C’est en ce point précis que des attitudes radicalement différentes émergent. Car la réparation semble d’abord renvoyer à une géoingénierie, à une capacité de réformer une planète comprise à la fois comme un système et une machine. Cette vision de la Terre comme système réparable se traduit dans d’autres champs : l’urbanisme (regenerative urbanism), l’alimentation (regenerative food), l’agriculture. Il s’agit à chaque fois, de restaurer un état initial détruit ou de lui substituer un état équivalent. Personne ne croit cependant qu’il soit possible de « réparer » les dommages de l’Anthropocène, et qu’on puisse revenir à l’Holocène. Il n’existe d’ailleurs pas de méthode qui permette de restaurer les habitats primaires dégradés. Seuls les écosystèmes hybrides, où les changements sont réversibles, peuvent être restaurés.

Il en va cependant autrement pour les organismes : le corps est constamment en train de se régénérer et chacune de ses 100 milliards de cellules est progressivement remplacée. Le cœur est régénéré tous les 20 ans. Chaque os du corps est régénéré tous les dix ans. Les ongles se régénèrent tous les 6 à 10 mois. Le foie se régénère tous les cinq mois. Les cellules sanguines se régénèrent tous les quatre mois. La peau se régénère toutes les 4 semaines. Ces capacités régénératrices du métabolisme sont étudiés activement dans différentes disciplines, en particulier via la recherche sur la régénération des tissus en biologie marine.

Mais le concept de régénération s’étend au-delà de son usage descriptif. La philosophe Donna Haraway use du terme comme levier de démantèlement de la logique reproductive du complexe militaro-industriel. On trouve ici un point de tension entre la logique reproductive de la gestion systémique des espaces telle qu’elle est mise en oeuvre dans l’agriculture de précision (optimisation de l’exploitation des grandes surfaces agricoles par l’usage de drones et de satellites) et la logique régénérative de la gestion collective et citoyenne du territoire qui ne modélise pas (logique reproductive) mais qui rétablit des fonctions à la façon de la salamandre qui, après la perte d’un membre, fait repousser des structures en se jumelant à d’autres productions topographiques sur le site de la blessure. Le jardin dans une zone en crise, comme le membre qui repousse, peut être monstrueux, pollué. Il s’ajuste aux tensions locales et aux contraintes institutionnels.

Le lab dans « Nausicaä et la vallée du vent » de Hayao Miyazaki (capture d’écran) © DR

Résilience collective et résilience par le collectif

Quels modes de resymbolisation, quels imaginaires, aujourd’hui, dans la croissance de la précarité, de la vulnérabilité et de l’impuissance qui forme l’ambiance actuelle de l’Anthropocène ? La perspective adoptée consiste ici à répondre à l’extrême par la régénération et par la formation d’une culture du collectif.

À la différence de l’énoncé prophétique, la culture du collectif et son extension, la culture du commun, n’a pas les traits du récit tragique, cette vision synoptique d’un monde incertain, confus et obscur – le monde de l’Anthropocène – objectivé de façon d’autant plus radical qu’il devient plus étranger. Concrète, située, cette culture du commun expérimente l’art de faire de ce monde incertain et dangereux, un monde habitable. Un art de faire de ce monde, un monde socialement mais aussi écologiquement, culturellement, techniquement habitable. Cet art collectif qui est aussi un art du collectif, n’est pas un monopole des artistes mais se produit de façon diffuse dans le champ scientifique, social, agricole, culturel, technique.

Dans une approche systémique, l’art du collectif renvoie d’abord à ce que Meadows appelle les micro-systèmes résilients, ces systèmes qu’il faut créer dans l‘urgence pour faire face aux chocs à venir : c’est ce qui s’expérimente par exemple dans les jardins ouvriers qui se sont multipliés dans les interstices de villes manquant de gouvernance claire et de vision d’avenir. L’autre face du collectif met en œuvre des voies d’action dans les infrastructures systémiques, que cela soit dans l’investigation sur les singularités culturelles et sociales ou, de façon assez différente, dans la réappropriation des dispositifs de détection de l’état des écosystèmes par une gestion collective et citoyenne du territoire (comme avec les capteurs citoyens).

Retrouvez les publications La Planète Laboratoire.

ENGLISH

Chthulucene Manifesto from Santa Cruz

Revised from “Donna Haraway and Cary Wolfe in Conversation”, Manifestly Haraway (University of Minnesota Press, 2016).


«Endosymbiosis, tribute to Lynn Margulis», Shoshanah Dubiner, 2012, www.cybermuse.com

Perhaps it is time to write a “Chthulucene Manifesto.” “My” Chthulucene is the time of mortal compositions at stake to and with each other. This epoch is the kainos (-cene) of the ongoing powers that are terra, of the myriad tentacular ones in all their diffracted, webbed temporalities, spacialties, and materialities.  Kainos is the temporality of the thick, fibrous, and lumpy “now,” which is ancient and not. The Chthulucene is a now that has been, is now, and is yet to come. The Chthulucene is a relentlessly diffracted time-space (remember Karen Barad on quantum fields in Meeting the Universe Halfway). These powers surge through all that are terra. They are destructive/generative and in no one’s back pocket. They are not finished, and they can be dreadful. Their resurgence can be dreadful. Hope is not their genre, but demanding response-abilities might be. Terran forces will kill fools who provoke without ceasing. Killed but not gone, these fools will haunt in tentacular ongoing destruction.

The chthonic powers, both generative and destructive, are kin to Bruno Latour’s and Isabelle Stengers’s Gaia, even though their Gaias are not at all identical to each other. But for all three of us, Gaia and its kin are not mother; they are snakey gorgones like the untamed and mortal Medusa; they do not care about the thing that calls itself the Anthropos, the upward looking one.  That upward-looking one has no idea how to go visiting, how to be polite, how to practice curiosity without sadism (remember Vinciane Despret and Hannah Arendt). In the Anthropocene (a naming I have come to need too), the chthonic entities can and do join in accelerating double-death provoked by the arrogance of the industrializers, super-transporters, and capitalizers, in seas, lands, airs, and waters. In the Anthropocene the tentacular ones are nuclear and carbon fire; they burn fossil-making man, who obsessively burns more and more fossils, making ever more fossils in a grim mockery of earth’s energies.  In the Anthropocene, the chthonic ones are active too; all the action is not human, to say the least.  And, written into the rocks and the chemistry of the seas, the surging powers are dreadful. Double death is in love with haunted voids.

The chthonic ones can and do infuse all of terra, including its human people, who become-with a vast motley of others. All of these beings live and die, and can live and die well, can flourish, not without pain and mortality, but without practicing double death for a living.  Terran ones, including human people, can strengthen the resurgence (Anna Tsing’s kind) of vitalities that feed the hungers of a diverse and luxuriating world. The Chthulucene was, is, and can still be full of what Anna calls ‘Holocene resurgence’, or ‘feral biologies’—i.e., of the ongoingness—of a wild, cultivated and uncultivated, dangerous, but plentiful earth for always evolving critters including human people. Mixed and dangerous, the Chthulucene is the temporality of our home world, terra. The Chthulucene is never one; it is always sym-chthonic, not auto-chthonic, sympoietic, not autopoietic. All of us who care about recuperation, partial connections, and resurgence must learn to live and die well in the entanglements of the tentacular without always seeking to cut and bind everything in our way. Tentacles are feelers; they are studded with stingers; they taste the world. Human people are in/of the holobiome of the tentacular, and the burning and extracting times of the Anthropos are like monocultural plantations and slime mats where once forests, farms, and coral reefs flourished, which were allied to fungal materialities and temporalities in very different ways.

The Anthropocene will be short. It is more a boundary event, like the K-Pg boundary (Cretaceous-Paleogene boundary), than an epoch. Another mutation of the thick Kainos is already coming. The only question is, will the brevity of the Anthropocene/Capitalocene/Plantationocene “boundary event” be because double death reigns everywhere, even in the tombs of the Anthropos and his kin, or because multi species entities, including human people, made potent alliances in time with the generative powers of the Chthulucene, to power resurgence and partial healing in the face of irreversible loss, so that rich worldings of old and new kinds took root?  Compost, not posthuman…

The Chthulucene is full of storytellers. Ursula LeGuin is one of the best, in everything she wrote. Hayao Miyazaki is another; remember Nausicaä of the Valley of the Wind. And then go to the Inupiaq online game Never Alone. Watch the trailer! (1)

With these storytellers, my next manifesto must be Make Kin Not Babies!

Donna Haraway, winter 2015

(1) http://neveralonegame.com/

The Laboratory Planet collective explores new narratives of resilience

The Laboratory Planet collective is currently studying systems theory, collective resilience and stories of regeneration.

For the past three years, the art and research collective Laboratory Planet has been examining objects and modes of thought associated with the Anthropocene. The hypotheses explored in this text apply to modes of establishing reality through systemic thinking, which forms the intellectual infrastructure of the Anthropocene. They apply simultaneously to certain concepts that have become the kingpins of systemic thinking in the age of radical ecological, economic and social crises: resilience and regeneration. Finally, they apply to the collective itself as a form and matrix of resilient management, which in turn involves putting into action regenerative capacities.

The Anthropocene and modes of establishing reality through systemic thinking

The Anthropocene is defined as the geological era during which, due to the exponential increase in fossil fuel energy consumption following the industrial revolution, humanity has a major geological and environmental impact—in proportions that irreversibly upset environmental and ecosystemic balances on a scale unseen in millennia, leading to major economic and social disruptions in the near future: a decline in the fossil fuel-based energy system, which constitutes the energy infrastructure of globalization; disruption of vital geochemical cycles (carbon, phosphorus, sulfur, nitrogen); depletion of natural resources; extinction of species; acidification of oceans; exhaustion of soils; scarcity of fresh water.

Thus qualified, the Anthropocene is about systems. And it’s from a systemic viewpoint that we can hope to correct or reduce our impact.

In a systemic approach to the Earth, location is inconsistent; it is subordinate to the global, which gives meaning and orientation to all locations. The slogan of sustainable development—“act local, think global”—is not an adequate response to the disaster. Reducing local externalities is useless if in parallel the global accumulation of externalities is out of control. The “solution” is then to reinforce the consistency and application of an engineering vision. This leads to different ways of modeling the Earth or environments that are, in the end, interdependent. So how is a rural location still an object that is capable of responding to issues raised by the Anthropocene?

Armin Linke, Mountain with antenna, Kitakyushu, Japan, 2006. © Armin Linke

Dennis Meadows, systemic thinker and co-author of The Limits to Growth (1972), declares that today, it is too late for thermo-industrial societies to implement sustainable development and urgently advocates building resilient micro-systems to prepare for the shocks that lie ahead. Meanwhile, he questions the capacity of a macro-systemic approach to resolve the problems posed by thermo-industrial societies. But in both macro- and micro-systemic approaches, systemic vision informs the overall vision, which constitutes the intellectual infrastructure of the Anthropocene. The limits of this approach, however, are well documented.

Here we tackle this double systemic perspective of the Earth. While the naturalist approach has the advantage of describing, simply, the great geochemical cycles, which apply to all, or the metabolism of resilient micro-systems, it doesn’t cover the social, economic and cultural dynamics that are intrinsically linked. Everything happens as if the solution lies in a surplus of engineering or scientific rationality. From a systemic perspective, the social world is presented too simply, objectified and quantified, ruled by causal laws, and therefore likely to interface and coordinate with natural sciences through input and output flows. How does situated cultural and social reality challenge the clarity and simplification of the systemic approach? How does it open other ways of doing, acting and thinking in the Anthropocene? How does it offer an alternative view of the present, for which the very term Anthropocene seems inadequate?

For the past few years, Laboratory Planet has examined these questions. First, we collectively researched the planet as factory and as laboratory, the experiments on 1:1 scales, especially experiments in geo-engineering. The theme of our last issue was what we called the possibility of “alien capitalism”, in order to designate this breaking away from conditions that had up until now been considered natural. Various new objects—biological, economic, spatial, ideological, etc.—radically “a-terrestial” or even “extra-terrestrial” objects have appeared as technoscientific capitalism has developed, questioning the evidence of Earthlings’ attachment to the Earth, their geochthonian attachment, or at least of a significant number of them.

The macro-systemic perspective, which escapes the immersive vision to produce a synthetic vision of the Earth, intersects with the invention of the zenithal image of the “blue planet” as photographed 50 years ago, just as systems theory was introduced. This conquest of the sky, of synthetic vision, seems to have abrogated the land-view vision of those who practice the Earth as sensitive organisms.

At this level is deployed a systemic approach, often incremental and not at all scalable, but which implements local or situated practices of regeneration, adapted to the variations and interlacing of heterogeneous components, at once sensitive, biological, social, ecosystemic, industrial, commercial, cultural.

“Blue Planet”, one of the first photographs of the Earth taken by the astronaut Bill Anders during the Apollo 8 mission on December 24, 1968. Public domain.

Imagining regeneration

The concept of resilience has many meanings and uses in various fields. It refers to the capacity to recover from a shock, whether the shock is economic, social, ecosystemic or organic. It also refers to the capacity to absorb a shock or adapt to it. As such, this concept is one of the tools of systemic thinking that seeks to model abrupt changes.

Regeneration is the next phase: the capacity not only to recover from a shock but also to restore the initial state of a destroyed ecological or social condition. It differs from sustainable development by aiming not for balance, a theoretical zero-impact, but rather to “repair” the biosphere.

At PIF Camp 2018 in Slovenia. © Hannah Perner Wilson

It’s at this specific point that radically different attitudes have emerged. At first, repair seems to refer to geo-engineering, the capacity to reform a planet that is understood as both a system and a machine. This vision of the Earth as a repairable system translates into other fields: regenerative urbanism, regenerative food, agriculture. In each case, it’s about restoring an initial state that has been destroyed or replacing it with an equivalent state. However, nobody believes that it’s possible to “repair” the damage of the Anthropocene, to return to the Holocene. There exists no method to restore the primary habitats that have been degraded. Only hybrid ecosystems, whose changes are reversible, can be restored.

And it’s a different story with living organisms. The body is constantly regenerating itself, as each of its 100 billion cells is gradually replaced. The heart is regenerated every 20 years. Each bone in the body is regenerated every 10 years. Nails regenerate every 6 to 10 months. The liver is regenerated every five months. Blood cells regenerate every four months. Skin regenerates every four weeks. These regenerative capacities of the metabolism are actively studied in various disciplines, in particular through research on the regeneration of tissues in marine biology.

But the concept of regeneration extends beyond its descriptive use. The philosopher Donna Haraway uses the term as a lever to dismantle the reproductive logic of the military-industrial complex. Here we find a point of tension between the reproductive logic of the systemic management of spaces such as in precision agriculture (optimizing the exploitation of large agricultural surfaces by using drones and satellites) and the regenerative logic of collective and citizen management of the territory, which, instead of modeling (reproductive logic), restores operations—like a salamander that, after losing a limb, regrows structures by pairing with other topographical productions on the site of the injury. The garden in a crisis area, like the regenerating limb, can be monstrous, polluted. It adjusts to local tensions and institutional constraints.

The lab in “Nausicaä of the Valley of the Wind” by Hayao Miyazaki (screen capture) © DR

Collective resilience and resilience by the collective

What modes of resymbolization and storytelling exist today, amidst an increasing atmosphere of insecurity, vulnerability and helplessness in the Anthropocene? Our perspective responds to the extreme with regeneration and forming a collective culture.

Unlike the prophecy, collective culture, and by extension the culture of commons, need not be a tragic narrative, or the synoptic vision of an uncertain, confusing and obscure world—the world of the Anthropocene—radically objectified and all the more foreign. Concrete, situated, this culture of commons experiments with the art of making this uncertain and dangerous world habitable—socially but also ecologically, culturally, technically habitable. This collective art is also an art of the collective, not a monopoly of artists but spread out among scientific, social, agricultural, cultural, technical fields.

In a systemic approach, the art of the collective refers first to what Meadows calls resilient micro-systems: systems that must be urgently created in order to face the upcoming shocks. This is what is being experimented in working gardens that have proliferated in the interstices of cities lacking clear governance and a vision for the future. The other side of the collective takes action in systemic infrastructures, whether by investigating cultural and social singularities, or in a very different way, by reappropriating ecosystem monitoring devices through collective and citizen management of the territory (as with citizen sensors).

More publications by Laboratory Planet

ESPAÑOL

Manifiesto Chthulueno desde Santa Cruz

Revisado de “Donna Haraway y Cary Wolfe en Conversación”, Manifestly Haraway (University of Minnesota Press, 2016).


«Endosymbiosis, tribute to Lynn Margulis», Shoshanah Dubiner, 2012, www.cybermuse.com

Quizás es tiempo de escribir un « Manifiesto Chthuluceno ». « Mi » Chthuluceno es el tiempo de composiciones mortales que están en juego unas por otras y unas con unas. Esta época es el kainos (1) (ceno) de los poderes en desarrollo constante que son Terra, de aquellos con una miríada de tentáculos en todas sus materialidades, espacialidades y temporalidades difractadas y unidas por membranas interdigitales. Kainos es la temporalidad del espeso, fibroso y grumoso « ahora », que es y no es antiguo. El Chthuluceno es un ahora que ha sido, es, y aún está por venir. El Chthuluceno es un espacio-tiempo inexorablemente difractado (recuerden a Karen Barad sobre los campos cuánticos en Meeting the Universe Halfway). Estos poderes surgen a través de todo lo que es Terra. Son destructivo/generativos y no son el recurso secreto de nadie. No están acabados y pueden ser terribles. Su resurgimiento puede ser terrible. La esperanza no es su género, pero si podría serlo el reclamar respons-habilidades. Las fuerzas terrenas matarán a los insensatos que no paran de provocar. Estos necios, asesinados pero no desaparecidos, acecharán como fantasmas en una destrucción tentacular continua.

Los poderes chthónicos, generativos y destructivos a la vez, son parientes de la Gaia de Isabelle Stengers y Bruno Latour, aun cuando sus Gaias no son para nada idénticas. Pero tanto para Stengers como para Latour y para mí, Gaia y sus parientes no son la madre; son gorgonas serpentinas como la indomable y mortal Medusa; ellas no se preocupan por eso autodefinido Antropos, eso que mira hacia arriba. Eso que mira hacia arriba no tiene ni idea de cómo hacer visitas, de cómo ser amable ni cómo practicar la curiosidad sin sadismo (recuerden a Vinciane Despret y Hannah Arendt). En el Antropoceno (una denominación que yo también he llegado a necesitar), las entidades chthónicas pueden unirse (y lo hacen) en una doble muerte aceleradora, provocada por la arrogancia de quienes industrializan, supertransportan y capitalizan mares, tierras, aires y aguas. En el Antropoceno las fuerzas tentaculares son las del fuego nuclear y el carbón; queman al hombre hacedor de fósiles que quema más y más fósiles de manera obsesiva, creando cada vez ms fósiles en una parodia lúgubre de las energías terrestres. En el Antropoceno, las fuerzas chthónicas también son activas; no toda acción es humana, por decir lo menos. Espantosos poderes surgen, inscritos en las rocas y la química de los mares. La doble muerte ama los abismos atormentados.

Las fuerzas chthónicas pueden impregnar toda Terra, y de hecho lo hacen, incluyendo a su población humana, que deviene con un amplio revoltijo de otros. Todos estos seres viven y mueren, y pueden vivir y morir bien, pueden florecer, no sin dolor ni mortalidad, pero sin practicar la doble muerte para ganarse vida. Los terrícolas, incluidos los humanos, pueden fortalecer el resurgimiento (en el sentido de Anna Tsing) de vitalidades que alimentan los apetitos voraces de un mundo exuberante y diverso. El Chthuluceno estaba, está, y aún puede estar lleno de lo que Anna llama ‘resurgimiento del Holoceno », o « biologías salvajes », es decir, la continuidad de una Tierra agreste, cultivada y sin cultivar, peligrosa pero abundante para criaturas en evolución constante, incluyendo seres humanos. Mezclado y peligroso, el Chthuluceno es la temporalidad de nuestro mundo, nuestro hogar, Terra. El Chthuluceno nunca es uno; siempre es sim-chthónico, no auto-chthónico; simpoiético, no autopoiético. Todas aquellas que nos preocupamos por la regeneración, las conexiones parciales y el resurgimiento debemos aprender a vivir y morir bien en los enredos de lo tentacular, sin estar siempre buscando cortar o unir lo que nos molesta. Los tentáculos son antenas, están decorados con aguijones y saborean el mundo. Los seres humanos son parte del holobioma de lo tentacular, y los tiempos de extracción y consumo del Antropos son como plantaciones de monocultivo y esteras de limo en donde antes florecían bosques, granjas y arrecifes de coral aliadas de maneras muy diversas con materialidades y temporalidades fúngicas.

El Antropoceno será corto. Es más bien un evento fronterizo que una época, similar al límite K/Pg (la extinción masiva del Cretácico-Paleógeno). Una nueva mutación del espeso Kainos ya está llegando. La única pregunta es: ¿la brevedad de este « evento limítrofe » Antropoceno/Capitaloceno/Plantacionceno, se debe a que la doble muerte reina en todas partes, incluso en las tumbas de Antropos y su parentela, o a que entidades multiespecies, incluyendo los seres humanos, forjaron a tiempo poderosas alianzas con las potencias generadoras del Chthuluceno, para provocar el resurgimiento y la curación parcial ante la pérdida irreversible, de modo que viejos y nuevos hacedores-del-mundo pudieran echar raíces? Compost, no posthumanos…

El Chthuluceno está lleno de contadores de historias. Ursula Le Guin es una de las mejores, en todo lo que ha escrito. Hayao Miyazaki es otro; recordad Nausicaä del Valle del Viento. Prueben el juego en red Inupiaq Never Alone, Nunca Sola (2). ¡Miren el trailer!

Con narradores así, mi siguiente manifiesto deberá ser Make Kin Not Babies! (3)

Donna Haraway, invierno 2015

Donna Haraway es Profesora Emérita del Departamento de Historia de la Conciencia y del Departamento de Estudios Feministas de la Universidad de California, Santa Cruz, Estados Unidos. Es autora de numerosas publicaciones, incluyendo el Manifiesto Ciborg y del Manifiesto de las Especies de Compania: Perros, Personas y Otredades Significativas.

Traducción Helen Torres

(1) Kainos:nuevo, reciente

(2) Nunca sola http://neveralonegame.com/

(3) Posible traducción de Make Kin Not Babies!: Hagamos comunas, no familias!